Antécédemment : Toujours au sommet de la Tour éternelle, nos personnages cherchent toujours le chemin vers un monde meilleur, une absurdité à la fois. Et les chapitres n’ont plus de fin, apparemment ; ce doit être surfait.
Ada Rousseau-Stiegsen trouva l’absence de Sélène plus marquante que sa présence. Ils demeurèrent tous… cinq ? trois ? six ? Bref ; humains ou esprits, sans se concerter, ils se recueillirent en silence.
Nathanaël le brisa le premier :
— Que se passe-t-il si nous l’offensons, pensez-vous ? La destruction immédiate et totale ? Pas le genre de la maison, répondit sa propre voix – à peine altérée.
Elle reconnut le sentiment qui la traversait comme appartenant à Salamandre : elle ne fréquentait pas le Grand Maître depuis assez longtemps pour entretenir une telle haine à son égard. Hélas, c’était son visage à elle qu’il colorait, son expression à elle que son cousin intercepta. L’air gêné, il se murmura à lui-même :
— Je suppose que rien ne vous retient, désormais. Si ; Elle ne m’a pas autorisé à partir. Donc vous restez. Donc je reste.
Ada hésita à le consoler mais elle le vit prendre ces grandes inspirations par le nez qui lui réussissaient tant et ne s’imagina pas l’interrompre.
— Il commence à se faire faim, nota-t-elle. Est-ce que vous tenez le coup ?
— Contre toute attente, oui.
— Contre rien du tout, maugréa Salamandre. À la seconde où vous vous êtes plaint, c’était fini.
— Heureux de l’apprendre.
— De rien.
— J’insiste, j’insiste.
— Non vraiment, pas la peine.
Malgré le toit béant, la porte ouverte et le sylphe, ils avaient besoin d’air ; Ada prit sur elle d’éloigner les deux belligérants en s’aventurant dans le couloir.
Elle y tomba nez à nez avec une femme fascinante ; puis ladite femme ordonna mieux son aura autour d’elle, l’en épargna et redevint simplement belle.
— Mademoiselle de Coq ?
— Ada ! J’ai fait aussi vite que j’ai pu ! Tenez !
Le plus grand panier d’osier à rabats qu’elle avait jamais vu lui fut posé sur les bras. Elle faillit ployer sous son poids ; seule l’interférence de Salamandre l’empêcha de tomber.
— Qu’est-ce que vous avez mis là-dedans ?
— Ma mère m’a dit que Nathanaël voulait du poulet alors je vous ai dégotté un poulet ; j’ai aussi pu vous procurer quelques tomates et un pain à la campagnarde.
Rien dans la phrase n’impliquait que l’Angeline à qui son camarade sylphide devait son nom avait demandé d’autorisation à qui que ce soit pour les fournir en provisions. Ada choisit de ne pas pousser plus loin cette pensée.
Sa tante chuchota, l’air conspirateur :
— Comment était-Elle ?
Elle médita la question.
— Surprenamment normale.
— Ses Voies sont impénétrables.
— Qu’est-ce que ça veut même dire ?
— Que Ses Manières sont énigmatiques.
— Alors pourquoi ne le formule-t-on pas ainsi ?
— Vieilles habitudes. Enfin. Au revoir !
La mère de Nathanaël fit volte-face. Ada l’appela :
— Vous ne voulez pas entrer ?
— En Sa Présence ? J’en suis indigne.
— Elle n’est pas là pour l’instant.
— Sélène est partout, mon enfant ; ubique, ἁπανταχοῦ.
La stupidité de la réplique laissa Ada trop pantoise pour répondre à temps :
— Donc vous êtes aussi indigne où que vous soyez ?
Trop tard : la vieille demoiselle était partie. Ada se préparait à rapporter le panier cahin-caha quand une voix dans le couloir la héla :
— Besoin d’aide ?
Au tournant apparut Soledad, qui pressa le pas pour la rejoindre et la délester. Derrière elle venait son fils ; au lobe de son oreille brillait un peu d’or. Ada s’enquit, le doigt sur son propre cartilage pour pointer l’emplacement de la boucle :
— C’est nouveau, ça ?
— Ta gueule, cousine.
Il le lui semblait bien.
— C’est pour ne pas le reperdre, l’informa Soledad.
— Oh, c’est pour ne pas te reperdre.
Chapuis brandit son poing dans ce qu’Ada reconnut comme une menace dépourvue de menace.
— Et Juan, vous l’avez perdu ?
— Il reprend courage et il arrive.
— J’ai un caillou dans ma chaussure ! tonna une voix grêle depuis l’angle.
— Bien sûr, du fameux couloir de gravier du cent-vingtième pour lequel la Tour est si célèbre, lui renvoya Soledad.
— Arrête de dire n’importe quoi, je l’ai attrapé avant l’élévateur !
Pas un seul qui se connaissait depuis plus de deux mois et ils étaient déjà indifférenciables d’une famille ; fascinant comme la nature accomplissait ce genre de miracles.
Au sommet, Nathanaël marmonnait des négociations avec son occupant ; Chapuis et Soledad prirent sur eux d’installer le pique-nique au sol, aidés de la nappe incluse dans le panier ; Juan rebrancha des appareils en se plaignant des jeunes qui se trouvaient là depuis des heures et n’avaient pas eu l’idée de le faire eux-mêmes.
Ada se retrouva flottante, nécessaire nulle part, aimée pourtant. Il fallut tout de même que sa tante – encore une, décidément – l’appelle à deux reprises pour qu’elle attrape l’idée de venir s’asseoir et se restaurer avec tout le monde.
Nathanaël lui fit le plaisir d’expliquer leur petite entreprise démocratique chapeautée par la Secrétaire du Ciel à sa place, en des termes presque neutres. Soledad s’enquit :
— C’est fort intéressant ! Comment comptez-vous joindre les familles routières ?
Aucun froid pareil ne méritait d’exister en plein été. Ada se confondit en excuses ; on la coupa :
— Vous n’êtes ni les premiers ni les derniers à nous oublier. Pas pour autant que nous vous laisserons vous débrouiller seuls avec vos petites fermes et vos petites communes coupées les unes des autres. Je connais la Reine épousée de la Route du Sud ; si vous m’emmenez la chercher en esprit, je puis vous la présenter. De là, le message passera.
— Voyez avec Nathanaël, je n’ai pas la puissance pour ce genre de choses.
— Excusez-moi, avec qui ? sourit le susnommé.
— Silence, Luz.
— Je ne faisais que vérifier.
Sur la nappe à carreaux reprit le travail. Chapuis et Juan retournèrent vérifier le bon fonctionnement des machines de la salle ; sans doute Ada pouvait-elle se joindre à eux.
*
Les premiers mots qui se formèrent dans la pensée de Nathanaël de Luz furent :
— Tout va bien, je ne t’écrase pas trop, Maman ?
Il fut traversé du désir de périr sur le champ, puis se corrigea :
— Pardon, je voulais bien sûr dire Mam– Mortesélène ! Que m’arrive-t-il ?
L’esprit de Soledad Morez étincela du rire qui ne parvenait pas jusqu’à sa gorge.
— Vous avez visité ma fille. C’est intéressant de constater que vous n’en êtes pas ressorti tout à fait indemne.
— En quoi ?
— En ce qu’une arme qui blesse celui qui la manie n’en est pas une très bonne.
Remembrance des histoires contées par Sélène dans son sommeil, Nathanaël conclut :
— Je ne crois pas qu’il s’est jamais agi d’une arme.
— Combien de révolutionnaires voulez-vous retourner dans leur tombe ? Allons-y.
Ils fouillèrent la Mer ensemble jusqu’à trouver la femme qu’ils cherchaient ; demi-sang, elle brillait au milieu d’une constellation de ses semblables.
— … vous en avez beaucoup, chez les routiers ?
— Aucune raison de laisser perdre tout votre talent dans sa cage dorée.
— Cela ne vous pose-t-il pas de problèmes de sorciers ?
— Non ! Il suffit de ne pas les laisser se marier entre eux.
— … certes.
Ils appelèrent la Reine qui, après avoir pris connaissance du message, leur transmit le Roi héritier.
Nathanaël ignorait à quelle sorte de personnalité s’attendre ; il trouva l’homme sérieux, vigilant, et, au premier plan de ses pensées, préoccupé par sa succession. Une promesse de mener le projet à bien plus tard, il changea de sujet du tout au tout :
— Vous connaissez ma fille, je me trompe ?
— Paloma ? Quelle coïncidence !
— Dites-lui de revenir : j’ai besoin qu’elle me signe un papier.
Plutôt que de poser des questions à l’infini, Nathanaël se permit de tirer sur le fil de cette pensée. Le Roi héritier ne disposant pas de prince, il lui fallait laisser place à un Roi élu ; le prochain souverain de la route dormirait mieux la nuit en sachant qu’aucune surprise ne sortirait du bois pour le détrôner. Il était donc attendu de Paloma qu’elle abdiquât par avance.
— Pourquoi elle et aucune de ses sœurs ?
— Vous savez pourquoi.
— C’est injuste.
— Injuste ? Je ne l’entendrai pas d’un tourain. Nous lui avons tout donné ; vous prétendez respecter les vœux de vos enfants mais vous ne les laissez pas toucher au Passeur, terrifiés de les voir perdre leur sacro-sainte aptitude à vous faire des petits-enfants.
— Je n’avais pas entendu parler de la pratique avant mon bannissement de la Tour éternelle ; il faut clairement que je me renseigne pour la nouvelle fille de ma maison. N’imputez pas à la malveillance ce qui n’est que de l’ignorance.
— Ne me faites pas rire. Avez-vous entendu parler du feu ? Du savon ? Du pain ? Le Passeur existe depuis toujours : la Tour a choisi de ne pas le laisser entrer dans ses murs. Ne nous prenez pas pour plus bêtes que nous ne le sommes, Monseigneur. Vous pourriez trouver votre collaboration avec le peuple difficile.
Ravalant son amour-propre, Nathanaël répondit :
— Merci du conseil. Bonne journée.
Soledad lui caressa la joue en esprit à son retour dans la Mer.
— Dans l’ensemble, je dirais que ça ne s’est pas trop mal passé.
— Je crois lui avoir fait mauvaise impression.
— Il est Roi ; il n’allait pas se jeter à vos pieds.
— Je n’attendais rien de tel ! Je déteste quand cela m’arrive.
— Alors comment voulez-vous être traité, mon fils ?
— Je ne sais pas !
Puis il se rendit compte du terme qu’elle venait d’employer.
— Enfin, Soledad ?
— J’agrandis ma collection de garçons ; de toute façon, puisque vous êtes le cousin de ma nièce, ce n’est que logique.
Il la renvoya dans sa propre tête avant qu’elle ne proposât plus d’absurdités.
La Tour éternelle scintillait sous la Mer. Excellente nouvelle, les esprits en question occupaient des corps qui bougeaient ; aptes à se sustenter et se laver, leurs possesseurs seraient bientôt de nouveau présentables.
Quelqu’un le repéra. Le temps d’être rejoint, il reconnut son amie Amandine, débarrassée du casque qui limitait sa puissance.
— Nat ! Je t’en prie, aide-moi !
— Calme-toi, que se passe-t-il ?
— C’est Abigaël. Il est complètement fou ; il planifie un assassinat.
— Pardon ?
Elle le conduisit en Ville – depuis quand son cousin se trouvait-il en Ville ? Question sans importance : Abigaël était là, reconnaissable à la lueur de son demi-sang, à moitié éteinte et colorée par la colère.
La vague sensation d’une fresque du Musée de la Guerre. Alors qu’il se tendait davantage, une réponse :
— Je ne crois pas, non.
Il se sentit jeté au loin. Les yeux qu’il ouvrit lui permirent de reconnaître la lumière ; la peau qu’il occupa l’informa de la présence du sol sous sa joue ; ce fut tout. La bouillie devant son regard changea de texture, il crut apercevoir cette paire d’yeux noirs qu’il partageait avec son père, son oncle, son cousin. La voix contrefaite, Abigaël soliloqua :
— Au temps pour moi, je ne pensais pas que cela fonctionnerait si bien ! Ce doit être une histoire de force de l’adversaire retournée contre lui ou quelque chose du genre. Je ne visais pas ce pauvre homme, en revanche. Je ne sais même pas pourquoi je te parle, tu ne dois rien comprendre.
Nathanaël lutta avec sa gorge empruntée :
— Si… Abi…
— Eh bien, voyez-vous cela.
— Que… passe…
— Que se passe-t-il ? Monseigneur, tu occupes actuellement la cervelle de quelqu’un que tu n’as jamais rencontré ; vous n’avez donc rien en commun, rien sur quoi te reposer pour interpréter ce qui se passe dans sa tête, pour peu que cela diffère de ce qui se passe dans la sienne. Le phénomène n’a pas encore de nom, moi je l’appelle calibration, c’est tout moi, j’aime les petits noms. Je pourrais t’arranger le coup, puisque tu me connais et que je le connais ; cependant, je ne te veux pas dans ma tête, ni maintenant, ni plus tard. Au revoir !
Comment, en syllabes éparses, rattraper son cousin au vol, le persuader de parler plutôt que de dresser un tel mur entre eux ? Nathanaël tenta :
— Aman… dine…
— Que t’a-t-elle dit ? Que j’étais sur le sentier de la guerre ? C’est la guerre, Nathanaël. Les gens de bon sens contre les gens de non-sens. Si nous commettons l’erreur de laisser les nôtres agir à leur guise, le peuple ne nous laissera pas poursuivre nos petites vies dans notre grande Tour, cette fois-ci.
— Qui… ?
— Ne le sais-tu pas mieux que tout le monde ? Le Seigneur d’Ascley est en Ville et tout porte à croire qu’il y est venu tuer son fils.
À la confusion de ces nerfs indéchiffrables, Nathanaël superposa la sensation perplexe d’avoir raté un morceau de l’intrigue. Gabriel avait une fille et elle se trouvait au sommet de la Tour éternelle. Non ?
— Quoi… ? Tuer…
— Que faire d’autre, d’un garçon qu’il ne connaît pas et qui le rend inéligible à son rang par sa seule existence ?
— Non…
— Qu’attendre d’autre, d’un homme qui t’a fait jeter en prison pour y mourir ?
— Non !
— Que ferais-tu, à sa place, d’un tel enfant ?
Nathanaël, frustré de la piètrerie de la voix, chercha alentour ; après tout, s’il se trouvait bien au Musée de la Guerre, il en avait rencontré une curatrice.
— Madame Marguerite est absente ; elle est actuellement en congés pour s’occuper des affaires de sa cousine. C’est ainsi, la famille, il y a des cousins qui donnent et des cousins qui prennent. Laisse donc cet homme tranquille, il souffre plus que toi de ta visite.
Fichu pour fichu, il regagna la Mer et s’écria :
— Ce que je ferais à sa place ? Je n’y suis pas, à sa place ! Moi, j’étais sérieux ! Pour la maison ! Personne ne m’a touché ! Dix années durant ! Et tu me traites d’homme qui prend tout et ne donne rien ? Mon cousin, tu me remplaças six mois. Imagine vingt fois cette période. Vingt fois les responsabilités. Vingt fois l’ingratitude. Voulais-tu que je plaigne ton vingtième de ma souffrance ? Je l’ai fait ! Que je te présente mes excuses parce que mon emprisonnement a retardé ce mariage qui m’est à moi-même interdit, que tu jettes désormais aux ordures ? Je l’ai fait ! Grandis, miséricorde !
— À quoi bon te parler ? Tu ne seras heureux que lorsque je me serai rangé à ton avis.
Nathanaël se racornit. Certes. Le problème de l’inégalité de conviction entre un Illusionniste de plein ou de demi-sang, désormais plus si insoluble mais dont le solvant demanderait un miracle.
— D’accord. Je ne parle plus. Je t’écoute. Ascley. Que comptes-tu faire ?
La plus faible conscience des alentours. Des caisses floquées au nom du Musée, ouvertes sur des reliques anciennes.
— Vois-tu, je ne peux pas vraiment l’arrêter avec mes petites mains ; il est aussi habile dans les Illusions que j’y suis inapte, le vil. Aussi, s’il commet l’irréparable, ma seule manière de prévenir la récidive sera de l’empêcher durablement d’utiliser la partie molle de sa nuque à mauvais escient. À l’époque de la dernière révolte, nos ancêtres venaient d’intégrer aux champs de bataille…
Un long cylindre ; l’odeur du fer. Une autre impression, toute aussi métallique mais plus confuse.
— Très mauvais alliage, ha. On verra ce qu’il donne. Bref, l’envoi de projectiles par combustion confinée de charge explosive ne s’est pas arrêté aux canons ! Ceux de cet engin n’abattront pas un mur, mais je les imagine tout à fait capables de faire sauter l’organe Illusoire de quelqu’un. Ou la cervelle entière. Je ne le saurai pas tant que je n’aurai pas essayé.
— Un assassinat, donc.
— Techniquement, si c’est un meurtre en réponse à un autre, c’est une vendetta ; c’est toujours mieux toléré que de laisser un noble exécuter un citadin sans sourciller. Cela dit, étant donné l’inévitabilité du crime, je ne compte pas nécessairement attendre qu’il soit commis, vois-tu.
— Tu ne peux pas–
— Que de sensiblerie ! Tu as oublié de qui nous parlons. C’est ton oncle, Nat. Pas le mien. Je ferai ce dont tu n’es pas capable, comme d’habitude. Que suis-je sinon ta pièce détachée ?
C’était… à ce stade, Nathanaël ignorait s’il devait croire ces reproches justes ou injustes. Peut-être ne lui restait-il plus que la négociation.
— Attends au moins de t’assurer qu’il cherche bien son fils pour ce que tu imagines.
— Pour quoi d’autre ?
— Il a aussi une fille. Tu la connais. Il n’a pas attenté à sa vie.
Un soupir.
— Soit ; j’attendrai. Puisses-tu ne pas le méjuger, ou puisse ma main être plus sûre que ton jugement. Assez parlé.
La sensation de la fouille d’une caisse et, la voix légère, Abigaël :
— Savais-tu que nos ancêtres n’utilisaient pas des casques pour se libérer du sommeil, mais plutôt des sortes de cerceaux autour de la tête ? Appelés coronæ ou κορώναι en fonction des textes. Voyons s’ils fonctionnent toujours !
Son cousin échappé à ses sens, Nathanaël revint au sommet de la Tour éternelle.
— Ça va ? s’enquit Ada. Vous êtes parti bien longtemps.
Se rasseyant, il répondit :
— Espérons que cette histoire de consensus ira vite. Saviez-vous que votre père avait un fils ?
— Avez-vous remarqué que j’ai un frère ?
— Adoptif ?
— Finalement non.
Nathanaël décida en commun accord avec lui-même de se rallonger. Une pensée lui traversa l’esprit ; il résolut de la partager.
— C’est touchant, ce qu’a fait votre mère.
— Laquelle ?
— L’adoptive.
— Quoi donc, me cacher la vérité toute ma vie sous la contrainte ?
— Vous adopter. Vous grandîtes entourée de secrets, certes ; mais vous grandîtes ensemble.
Ada se laissa tomber sur la nappe. Nat trouva bientôt sa main sous la sienne.
— Où que nous portions notre attention, nous en revenons toujours au même point. Le bien que nous prétendons faire à autrui.
— L’amour, dit Angeline.
Ada, un sursaut plus tard, tempêta :
— Annoncez-vous, mercredi ! J’ai cru qu’Elle était de retour !
— Pardon mais je ne suis jamais parti, c’est vous qui m’oubliez.
La dispute se poursuivit ; Nathanaël cessa de l’écouter.
La position allongée sur le dos offrait une vue imprenable sur le Ciel.
L’amour. Quelle notion ! Leur recherche du consensus comptait-elle comme un acte d’amour ? Envers qui ? Le pays lui-même ? Qu’il connaissait si mal ? Sur la carte duquel il peinerait à placer la région de ceux de ses aïeux qui lui avaient légué leur nom ? Ou celles des autres ancêtres, d’ailleurs ?
La seule chose certaine, c’était qu’ils n’en avaient toujours pas terminé.
Mirage - 80 - kɔ̃sɑ̃sys (fin)
Antécédemment : Nathanaël de Luz, Ada Rousseau-Stiegsen et Angeline le sylphe, au sommet de la Tour éternelle… Vous savez quoi ? C’est le tout dernier chapitre. Vous n’avez pas besoin d’un résumé des épisodes précédents pour le tout dernier chapitre, si ?