Antécédemment : Nathanaël, accompagné de quelques uns des siens, a trouvé Ada prise en otage du Grand Maître. Ce dernier a ordonné à Jean de l’arrêter…
Jean le sylphe prit un instant pour démêler le nœud des ordres contraires qui luttaient dans ses boucles. Fascinant comment elles fonctionnaient, ces injonctions. À différents niveaux de priorité, de pression, d’importance, coexistaient trois notions :
Il devait faire en sorte que Nathanaël reste hors de danger ;
Il lui en voulait de ne pas se rendre compte d’à quel point il l’aimait ;
Il devait l’arrêter.
La dernière était plus vague que les autres. Que signifiait [aʁɛte], dans ce cas-ci ? Il se reporta aux diverses définitions. Prévenir l’avancée. Faire obstacle à l’écoulement de. Empêcher d’arriver à destination. Interrompre le fonctionnement. Bloquer l’accomplissement. Nouer le fil sur le dernier point d’une couture. Saisir par voie de justice. Retarder ou retenir. Considérer avec attention.
— Sérieusement ?
Il ne s’agissait pas d’un ordre à proprement parler mais le message passa à travers l’intonation. Air prenant appui sur l’air, Jean se précipita sur son vieil ami.
Il trouva sur sa trajectoire une autre sorte d’air ; Line lui faisait barrage. Jean y éparpilla ses boucles, se rassembla, considéra son alter ego avec fierté.
— Tu as pris une décision ! Enfin !
— Non. Je voulais t’épargner de faire quelque chose que tu regretterais.
Quelle était ce petit serpentin d’air qui tournoyait en lui ? De l’hésitation ? De la tristesse ?
— Mais je vais le devoir.
Ses boucles s’écartelèrent. Line l’avala.
*
De mémoire humaine, on ne montait pas plus haut que la salle du conseil. Pourtant, voilà qu’après trois volées de marches ils se retrouvaient dans ce lieu obscur, Abadi, Brac, Coq, Fortune et lui. Parmi les cinq, Nathanaël de Luz s’estima le seul apte à comprendre exactement ce à quoi ils avaient affaire.
Primo, à un ensemble de machines héritées de leurs ancêtres, sans doute très mal documentées. Secundo, à une personne désincarnée et immortelle qui servait de chef au pays depuis assez longtemps pour qu’on eût oublié jusqu’à l’idée de le remettre en cause. Tertio, à la terrible tendance de madame Rousseau-Stiegsen à s’attirer les ennuis dès qu’on oubliait de la surveiller cinq minutes consécutives.
Il prit donc l’initiative de distribuer les outils de sa ceinture au reste de sa petite coterie, vérifiant que chacun savait s’en servir :
— Séalathiel ?
— Ne m’insultez pas.
— Nullement l’intention. Inel ?
— Pas de problème, minauda-t-iel avec l’assurance de sa vingtaine d’années.
— Caroline ?
La maîtresse de Coq renifla et fit tournoyer la clé entre ses doigts.
— Mon père était de Frem, jeune insolent. Ta mère ne t’avait pas en projet que je montais mon premier télescope.
— Heureux de l’apprendre. Laureline ?
La Dame de Fortune pâlit.
— Hum, pourriez-vous me rappeler ce que nous, hum, espérons accomplir ?
— Mais c’est fort simple : notre Grand Maître s’adonne à l’art ancien de la prise d’otage. En conséquence, nous lui rendons la pareille.
— Tout ceci ne me semble pas très légal.
Nathanaël, dans un long soupir, lui posa ses deux mains sur les épaules.
— Voulez-vous attendre dans le couloir avec notre guide, Laurie ? Si vous n’y assistez pas, vous pourrez prétendre que cela n’a pas eu lieu.
Fortune le toisa avec désapprobation. La création de la maison des Juges répondait au manque de la spécialité dans la Tour éternelle : si chaque maître rendait justice au sein de sa famille et participait à l’édiction des lois et règlements, personne ne s’interrogeait jusque là sur ce que le processus lui-même signifiait, ni ne chapeautait l’activité des juges plébéiens. La fondation de Fortune était encore toute récente et, en conséquence, ses membres toléraient mal de n’être pas pris au sérieux.
Le temps, ainsi est son habitude, s’écoulait même durant les apartés ; Inel de Brac émit un cri sourd et retira sa main du plateau d’une machine. Ada, une main sur le front dans un geste agacé, tança :
— Vous verrez avec la maison Ascley pour faire amputer ces phalanges quand elles changeront de couleur.
Il ne s’agissait plus d’Ada, toutefois ; l’accent et la volonté appartenaient au Grand Maître.
— Quoi ? gémit Brac.
— Je gâcherais ma voix en explications. Tout ce que vous avez besoin de savoir, c’est que cet endroit vous est dangereux. Et par dangereux je veux dire que vous pourriez y trouver la mort.
— Est-ce une menace ? demanda Nat.
— La simple énonciation d’un fait. Rentrez tous chez vous, ou mieux, partez prendre l’air. Nous nous verrons au prochain conseil. J’espère vous y trouver revenus à davantage de discipline.
Nathanaël jaugea d’un regard l’effet de ces paroles sur le reste des siens. Abadi, malgré sa tendance à respecter les hiérarchies en place, semblait turlupiné par le manque de considération du Grand Maître. Brac, concentré sur la brûlure de deux de ses doigts, aurait pu basculer d’un côté ou de l’autre, sauver sa peau comme tourner son indignation vers sa cible légitime. Coq, le calme feint, sondait des yeux la pièce obscure : elle planifiait déjà dans quel ordre elle s’attaquerait aux appareils. Restait Fortune. Qui se racla la gorge, puis demanda :
— De quel droit ?
— Qu’est-ce à dire ?
— Vous interrompez un conseil au milieu d’un débat crucial, vous refusez de vous expliquer et vous vous adressez à nous d’une manière que je n’oserais pas employer avec mon chien : de quel droit ?
— Il y a deux réponses à cette question. La première, c’est que vous n’êtes Seigneur ou Dame que parce que la Tour existe, et que la Tour n’existe que parce que j’existe. Toute autorité que vous prétendez exercer est, en définitive, la mienne. La seconde est plus courte et sans pertinence ici.
Fortune fulmina. Nathanaël lui tendit un tournevis. Elle manquait de provocation et de mauvaise foi pour une telle conversation ; autant passer sa colère ailleurs.
Sans qu’une main effleurât les machines, vis et écrous commencèrent de tomber. Le Grand Maître leur laissa dix minutes avant de soupirer :
— Êtes-vous calmés ? Sinon, vous en profiterez pour souffler sur la poussière, elle s’accumule.
Nathanaël serra les dents. L’adrénaline ne durait chez personne ; faute de résultats, leur entreprise paraîtrait bientôt absurde à ses complices. Les vieilles coutumes reprendraient le dessus et la volonté du Grand Maître prépondérerait. Il déplaça une console d’un coup de pied et trouva le câble qui la reliait au Générateur Principal ; une fois déverrouillée, il accepta d’être retiré de la prise murale, éteignant les lueurs de la machine.
— Excellent choix. Si vous n’aimez pas l’eau de source.
Plongé dans une obscurité trop profonde, il alluma son briquet. Brac, un peu plus loin dans la salle, l’imita : une autre console vira au noir.
— Dommage pour celle-ci. Une mine sans minerai, c’est moins enrichissant.
Nat gagna le milieu de la salle. Le tic au coin de la paupière de son vis-à-vis lui resta ambigu : il eût pu provenir d’Ada comme du Grand Maître. Aussi désespéré par l’une que par l’autre, il les attrapa par le col du tablier et les secoua.
— Que racontez-vous, à la fin ? Un peu de clarté, cela vous tuerait-il ?
Le tissu lui échappa des mains, il ne comprit comment. La réponse sonna moins désinvolte :
— Je constate que vous avez refusé de tirer la moindre leçon de votre exil.
— Et que comptez-vous y faire ? Me bannir de nouveau ?
— Nathanaël de Luz, parce que vous êtes celui qui m’a confirmé l’identité de ma nouvelle assistante, je vous passe cette offense. Ce sera la seule.
Confirmé l’identité de… ? Voulait-il dire… dans son bureau, la veille ? Nathanaël considéra les événements, ne trouva pas d’autre occurrence probable, en déduisit que quelqu’un poursuivait sa surveillance de ses faits et gestes.
Puis, soudain, tira une leçon de son exil.
Depuis le moment où il avait quitté son strict rôle de maître de maison – depuis la seconde où il avait posé un pied sur les marches sans fin du mirage de sa cellule – tout s’écroulait autour de lui. On l’avait traité d’incendiaire ; on rejetait sur lui la faute de cette dégringolade. Mais qu’avait-il commis, en vérité, à part se trouver là ? Tout ce précipité de secrets de familles révélés, de complots d’État mis au jour, il ne le souhaitait guère ; il lui arrivait, voilà tout. Le Seigneur de Luz était moins destructif que le monde n’était fragile.
Un pied hors de son rang, voilà qui suffisait à le changer en une vaste coïncidence. Quel genre de pouvoir était-ce là ? À peine plus matériel que les Illusions. L’idée le faisait sourire quand il nota les choses suivantes :
Primo, que la salle possédait certes ces machines en sa périphérie sur lesquelles ses comparses s’affairaient mais que leur démontage et leur débranchement n’affolait pas le Grand Maître ;
Secundo, que la salle possédait également des machines en son centre, et que la maigre forme d’Ada, l’air de rien, barrait l’accès à la colonnade.
Et lui, la coïncidence, s’y trouvait. Il y colla un petit coup de clé de seize. Le Grand Maître roula des yeux. Ou se contentait-il de les lever ? Nathanaël suivit son regard. L’appareillage se prolongeait en hauteur. Il repéra l’échelle dans le dos de son amie, la poussa hors de son chemin et débuta son ascension.
Le reste fut affaire de ne pas regarder en bas et d’ignorer le fourmillement sous sa peau, qui l’informait de sa distance au sol. Le Grand Maître, abandonnant son indifférence, le talonna : il entendit claquer les semelles d’Ada sur les barreaux. Il tapa de petits coups sur les machines empilées au cours de son ascension, au cas où.
Cela dut dépasser les bornes : la main d’Ada agrippa son mollet, enfonça ses ongles dans le tissu dans l’espoir d’attraper la chair. Nat se sécurisa d’un bras à l’échelle, avisa l’appareil devant lui sur la colonnade. Il ne lui était pas plus lisible que les autres ; une inscription en relief attrapait assez de lueurs multicolores pour qu’il y déchiffrât des signes, quelque chose comme « ɑ̃tikatoptʁism ». Indésireux de se brûler les doigts comme l’Excellence de Brac, il ne tenta pas de toucher aux réglages et se contenta de brandir sa clé à molette.
— Nathanaël. Nathanaël. Nathanaël.
Ah, voilà qu’on daignait enfin parlementer. Nat ne commit pas l’erreur de regarder vers le bas.
— Oui, Grand Maître ? Que puis-je pour vous ?
— Écoutez-moi. Vous ne savez pas à quel point votre monde tient à un fil.
De fait, il venait de le comprendre. Le Grand Maître poursuivit :
— Ce fil, c’est moi. Et je vous demande de ne pas toucher ce module-là.
— Pourquoi ?
Il y eut du désespoir, dans le soupir qui suivit.
— Parce que le fonctionnement ininterrompu de cet appareil est strictement nécessaire à la continuité de votre existence dans la Sudropée. Vous ne le toucherez pas, vous n’en parlerez à personne. Touchez-y et votre monde prendra fin, sous trois jours. Parlez-en et quelqu’un viendra y toucher à votre place, pour le même résultat. Suis-je clair ?
— Limpide, mais ce n’était pas la question. Vous me demandez un service : pourquoi vous le rendrais-je ? Qu’avez-vous à m’offrir en échange ? Pourquoi pas ce que je vous réclame, par exemple ?
Le silence dura juste assez longtemps pour que Nathanaël réfléchît à passer à l’acte.
— Continuons-nous de faire semblant ? cingla le Grand Maître.
— Plaît-il ?
— C’est lui qui vous envoie commettre ce sabotage, n’est-ce pas.
Rien dans le contexte, le texte ou le sous-texte ne renseigna Nat sur ce que le Grand Maître insinuait par là ; il commit l’erreur de diriger son regard vers son interlocuteur.
— Quoi ?
— Je vois ce qu’il vous a fait, ce n’est pas discret. A-t-il prétendu vous rendre vos six mois d’incarcération ? Le temps ne fonctionne pas ainsi.
À cette altitude, le vertige et la confusion l’envahirent en un cocktail ravageur ; sa vision se brouilla. Il s’Illusionna un sol à une distance rassurante, mais trop tard pour se calmer.
— Seriez-vous en train de retenter la tactique du charabia menaçant ?
— Vous niez, donc. Dommage. Il eût été heureux que vous réfléchissiez à la situation. Il vous a abandonnés.
— … je vous demanderais bien de qui vous parlez, mais je suis las. Cette machine, ou Ada. Le choix est vôtre.
Le visage de son amie et otage se crispa en une grimace assassine.
— Vous. Êtes las. De moi. Alors là. Félicitations, excellent chantage : je vous la rendrai.
Un esprit versé dans l’art de la conjugaison ne pouvait que noter l’emploi du futur simple.
— Quand ?
— Pas maintenant. Nous sommes à une étape délicate de sa formation, je ne peux la laisser.
Comme c’était pratique. Vraiment, qu’il devait être doux, aisé, agréable de fixer toutes les règles sans jamais accepter de compromis.
« Pas maintenant », d’accord, de quelle durée parlait-on ? Dix minutes ? Trois jours ? Cinq ans ? Comment croire que l’être inhumain qui venait de leur expliquer échapper à toute autorité tiendrait parole ? De fait, comment croire un seul de ses mots ? Des insultes et des menaces, voilà tout ce qu’il proférait.
Nathanaël établit la liste des arguments logiques en présence.
Primo, il ne croyait pas à la libération d’Ada.
Secundo, il tenait toujours une machine en otage.
Tertio, s’il voulait bien admettre que cette machine présentât pour le Grand Maître un intérêt particulier, il ne croyait pas que son arrêt dût déclencher la fin du monde.
Quarto, les causes devaient entraîner des conséquences, et les promesses être tenues.
Il arma son bras.
*
Ada Rousseau-Stiegsen recouvra sa vision sans avoir ouvert les paupières. Dans l’obscurité, tout lui parut flou ; quelque chose fragmentait l’image devant ses yeux. L’hallucination prit fin, et derrière apparut Nathanaël.
Suite à cela, elle prit connaissance de sa localisation et parvint à conserver sa prise sur le barreau d’échelle qui glissait entre ses doigts songeurs. Elle reconsidéra la situation au-dessus de sa tête. Luz en contre-jour : derrière ses cheveux, éparpillés en un soleil décadent, grésillaient des étincelles. Un outil métallique dépassait d’une espèce de petit meuble éventré.
Il l’interrogea du regard, l’air inquiet.
Le souvenir reflua, violent ; toutes les choses vues, dites, pensées, ressenties, lorsqu’elle avait perdu le contrôle d’elle-même. La question muette se fit évidente, et elle y répondit :
— C’est moi.
Nathanaël s’accroupit sur l’échelle, saisit la main d’Ada et l’attira dans son bras libre. Surprise, elle se laissa enlacer. L’étreinte se prolongeant, elle lui tapota le dos. Enfin, elle nota le séisme qui le parcourait, et comprit son tourment :
— Eh bah alors, on est monté trop haut ? On a peur du vide ?
Elle le sentit hocher la tête sur son épaule et roula des yeux.
— Descendons ensemble, tout va bien se passer.
Échelon par échelon, ils regagnèrent le sol.
Une poignée d’inconnus les accueillirent, l’air incertains de la conduite à tenir à son égard. L’idée perça que tout ce monde était, au départ, monté s’expliquer avec le Grand Maître, et que l’intervention pour libérer Ada de son emprise était une de ces improvisations estampillées Luz dont Nathanaël avait le secret. Bref, il manquait des informations à tout le monde sur tout ; elle demanda pour la forme si quelqu’un avait des questions. On leva une main.
— Oui ?
— Qui êtes-vous ?
Sa vision se brouilla. S’étalèrent dans son esprit des noms, des dates, des lieux, des notes diverses ; tout lui échappa avant qu’elle puisse les attraper. Embarrassée de cette absence, elle laisser glisser sur sa langue les mots qui semblaient s’y plaire le mieux :
— Je remplace la maison de Cime ?
L’une des femmes présentes sursauta. La question en entraîna une autre :
— Où est le Grand Maître ?
Ada le chercha en elle-même et le reconnut absent. Un frisson la parcourut. Quelque chose comme dix jours plus tôt, elle avait offert à Line la possibilité de s’imprimer sur elle comme il s’imprimait d’habitude sur un volume d’air ; elle était à ce moment-là restée maîtresse de sa personne. Elle ne s’attendait pas à ce que le Grand Maître soit si différent.
Il y avait tant de siècles de savoir et de souvenirs en lui, repliés les uns sur les autres. S’étant emparé d’elle, il l’avait conduite… là, faute d’un meilleur terme, avec pour consigne d’en prendre connaissance. Rien ne lui demeurait. Ou rien d’utilisable. Il fallait pourtant répondre :
— Je ne sais pas. Plus avec moi.
Il avait dû la quitter quand Nathanaël avait mis ses menaces à exécution, mais pour aller où ? D’ailleurs, à ce propos, elle fit volte-face :
— Luz. Qu’est-ce qui vous a pris ?
Elle le secoua par le col.
— Ça va bien de jouer les héros ? Je savais ce que je faisais !
Derrière elle, une voix rauque lui répliqua :
— Je pense pas, non.
Elle dévisagea l’insolent. Un vieil homme. Quelque chose dans le visage qui lui parut familier, sans parvenir à mettre le doigt dessus.
— Vous êtes qui, vous, encore ?
— Après le mal qu’on s’est donné pour te mettre à l’abri, toi tu débarques dans la Tour et tu te rends au Grand Maître ? Ça va pas bien, non ?
De quoi est-ce qu’il…
Une nouvelle fugue. Elle tenta d’y accorder davantage d’attention. Juan, acceptant de suivre la fée. Magdalena, engendrant Antoine. Antoine, refusant de suivre la fée. Magdalena, engendrant Adèle. Adèle, éloignée de l’influence de Magdalena. Adèle, refusant de suivre la fée. Adèle, engendrant Adamantine. Adamantine, éloignée de l’influence d’Adèle. Adamantine, disparue. Antoine, engendrant Rousseau. Rousseau, éloigné de l’influence d’Antoine. Rousseau, acceptant de suivre la fée. Adèle, engendrant Charles. Charles, éloigné de l’influence d’Adèle. Adamantine, retrouvée. Adamantine, engendrant…
Elle revint à elle sous l’effet d’une gifle du vieil homme. Elle la lui rendit. Vue de si près, la ressemblance se fit flagrante avec tous les autres membres de leur lignée à la fois, sa sœur, les enfants de celle-ci.
— Vous êtes Juan. Je suis… votre petite-nièce ?
— Eh bah mieux vaut tard que jamais, pitchoune. Tu m’as l’air d’avoir mangé trop de choses pour une tête humaine, n’essaie pas de les retenir, tu vas t’éclater la cervelle. Ah, et ça va être mon tour de tomber dans les pommes, navré.
— Quoi ?
Juan Morez eut un sourire dépourvu de joie.
— Comment tu crois que je cours partout à mon âge ? Je suis dopé pire qu’un lévrier de course et là ça va faire deux jours depuis ma dernière sieste. Bonsoir tout le monde, à la prochaine.
Il s’effondra dans ses bras. Faute de pouvoir le porter, elle facilita sa descente et l’allongea par terre.
À genoux sur le sol du sommet de la Tour éternelle, habillée de ses vêtements de la veille, décoiffée comme jamais, des membres de sa famille naturelle partout et de sa famille adoptive nulle part, Ada Rousseau-Stiegsen reconnut la réalité de la situation :
Elle était absolument perdue sur la suite des événements.
Et pas aidée par son entourage.
— Luz ? Jean ? Line ? Quelqu’un ? Un peu d’aide ?
*
Angeline le sylphe flottait à mi-hauteur du sommet de la Tour, trop douloureux, trop confus pour penser.
Alors, à défaut de penser, il murmura :
— Non. Pas comme ça. Je ne peux pas. Je ne suis pas prêt.
Une grande déchirure…
Line le sylphe se recomposa. Un regard : Jean fixait un point n’importe où ailleurs.
— Tu viens ? On a des humains indifférents à notre sort dont s’occuper pour éviter qu’ils ne fassent n’importe quoi.
— J’arrive.
Il faudrait en reparler ; ça devrait attendre.